dimanche 18 décembre 2016

Ski : freeride, rando et enseignement de début de saison autour de Santiago

Dans les hauteurs de Santiago, les sommets à 4000m blanchissent à partir du mois de mai par tempêtes successives. Chaque évènement se traduit par l’accumulation d’au moins un mètre de neige, très rapidement travaillé par les vents et les amplitudes thermiques. Petit à petit, la neige descend jusqu’à l’altitude 2500m: début juillet la saison est lancée !

Les couloirs de Portillo : la station située à la frontière Chili-Argentine est de loin le meilleur terrain de jeu freeride du Chili grâce à une très bonne conservation de la neige et de vieilles remontées mécaniques va-et-vient « dré dans l’pentu ». Ces dernières mènent par gravité à une multitude de couloirs ou à des départs mythiques de freerando, dont le plus connu est le « couloir Super C ».

Couloirs ***** depuis Roca Jack
Couloirs depuis le téléski Condor


Enseignement du ski alpin à des amis chiliens à La Parva et Lagunillas : quel plaisir que de faire découvrir les joies de la glisse aux amis chiliens pour qui les montagnes ne sont que le gigantesque décor de leur capitale. La station la Parva possède un tapis roulant, des téléskis et télésièges confortables pour le débutant, mais aussi de long dévers qui laisseront quelques souvenirs aux jambes de notre ami Rodrigo. La journée de ski (transport, location, forfait) aura coûté 120€ à notre élève, soit environ 20% du salaire mensuel net que touchent 70% des chiliens. À Lagunillas c’est plutôt ambiance hyppie avec des remontées mécaniques, qui selon la légende seraient recyclées des stations de l’ex-Yougoslavie. La station vaut le détour, le temps semble s'y être arrêté. Mais au moins l’initiation aura coûté deux fois moins chère à nos padawans Véro et Rodo. Un grand bravo à nos trois amis chiliens qui en un seul jour ont su descendre des pistes bleues dans un style chasse-neige unique !

Gare d'arrivée de téléski
Sunset in Lagunillas
Vue depuis le sommet de Lagunillas




Nuit au refuge du volcan San José : l’objectif de notre équipe franco-chilienne était un sommet depuis le barrage del Yeso : le Cerro Mesoncito. Malheureusement l’accès au départ est privatisé par une compagnie d’eau potable à laquelle il faut solliciter un permis d’accès avec plusieurs jours anticipation… Plan B, nous décidons de randonner jusqu’au refuge du volcan San José, dit le refuge Plantat, perdu sous 3 mètres de neige. Un bel itinéraire de début de saison !



F&P

dimanche 28 août 2016

Processus Constituant du Chili : une leçon de participation citoyenne !

Une Constitution est un texte qui établit les valeurs et les règles fondamentales qui encadrent les lois, les institutions et le fonctionnement d'un pays. Pas besoin de s'étaler sur son importance primordiale. La Constitution en vigueur au Chili fut élaborée sous le régime militaire de Pinochet, adoptée en 1980 par un simulacre de plébiscite démocratique sans pour autant être appliquée par la suite. Depuis le début de la transition démocratique en 1988 jusqu'en 2015, de nombreuses réformes ont supprimé notamment les concepts anti-démocratiques qui visaient à bannir les idéologies de lutte des classes de la vie politique chilienne (cf contexte mondial de Libéralisme versus Communisme). Bien que modifiée en profondeur, la version actuelle de la Constitution reste fondée sur l'illégitimité de la junte militaire de 1980, mais aussi sur un régime présidentiel fort et un bipartisme prégnant, tout en définissant un cadre quasi inamovible en faveur d'une société ultra libérale où toute action publique ambitieuse est peu envisageable.

Constitution du Chili 1980 (source:Wikipedia)
La présidente Michelle Bachelet proposa donc en 2013 dans son programme de second mandat, un changement de Constitution s'appuyant sur un premier processus constituant destiné à mobiliser tous les citoyens et citoyennes. Élue par une forte majorité en 2014, la présidente chilienne a depuis été éclaboussée par des affaires de corruptions/collusions et est considérée trop à droite pour la gauche et trop à gauche pour la droite. Son niveau de popularité suit la tendance de celle de François Hollande en France: les critiques sur le processus constituant sont donc nombreuses tant sur le fond que sur la forme. Ma curiosité est à son comble !

Les étapes du Processus Constituant
Les étapes participatives se déroulent en 4 phases entre juin et août 2016: participation individuelle, participation locale, participation à l'échelon provincial et enfin participation à l'échelon régional. A chaque étape l'objectif général est tout d'abord de choisir les 7 valeurs et principes, 7 droits, 7 devoirs et responsabilités et 7 institutions prioritaires parmi des listes prédéfinies. Puis de proposer 7 valeurs, 7 droits, 7 devoirs et 7 institutions additionnels, qu'ils soient ou non dans la liste proposée. Toute participation est associée à une inscription sur internet ou sur place grâce à son numéro de carte d'identité. La première phase individuelle est réalisée sur internet sur une sorte de questionnaire en ligne. Puis les chiliens sont invités à former des groupes locaux d'environ 15 personnes (famille, amis, collègues etc) pour débattre des premiers résultats selon la méthodologie 7+7. À l'issue de cette rencontre les participants signent un avis du collectif: en Accord, en Accord Partiel ou en Désaccord avec chacun des 7 valeurs, 7 droits, 7 devoirs et 7 institutions proposés durant la phase individuelle, avec encore une fois la possibilité d'en ajouter 1 à 7 additionnels. Les résultats statistiques servent de base à la phase suivante dite provinciale, laquelle alimente la phase régionale. La puissance de la méthodologie réside dans "l'Accord Partiel", c'est à dire que tous les participants sont d'accord pour que le concept débattu apparaisse en priorité dans la constitution mais avec un argumentaire différent voir contradictoire au sein de la table de débat. Les participants ont donc intérêt à défendre leurs points de vues tout en reconnaissant leurs convergences. Exemples typiques: la valeur de "liberté", le "droit à la vie", l'institution "parlement".


Qui peut participer? Toutes les personnes de plus de 14 ans possédant une carte d'identité chilienne, c'est à dire les chiliens dont certains expatriés et les résidents étrangers au Chili. Pour ma part, considérant ne pas être assez concerné par l'Histoire du Chili pour pouvoir débattre, je me suis proposé d'être plutôt observateur. Cependant les participants m'ont invité à prendre position à chaque vote du groupe et je les en remercie chaleureusement. On m'a également invité à plusieurs reprise à témoigner sur la France, dont les Droits de l'Homme et les idées républicaines post-révolutionnaire sont encore des piliers de notre influence internationale... Mais chacun reconnaîtra qu'il faut rester humble et modeste quand il s'agit d'aborder l'Etat de Droit en tant que français en 2016... A noter que les 9 populations indigènes du Chili possèdent leur propre processus constituant pour éviter que la minorité originaire ne soit noyée dans les résultats nationaux.




Le questionnaire suivant vous permettra de vous immerger entre les phases participatives provinciale et régionale, de tester la méthodologie et de découvrir les sujets spécifiques au Chili. Saurez vous reconnaître les conflits sociétaux actuels qui influencent les débats sur la Constitution ? Petits indices: droit à l'avortement, privilèges de l'armée, reconnaissance des victimes de la junte, salaire minimum, éducation publique/privée, système de santé public/privé, système de retraites privées, exploitation des ressources naturelles et minières, conflits sur les territoires Mapuche.



Retour d'expérience personnel
Ayant manqué la phase de consultation individuelle et obligé de refuser une invitation à une rencontre locale, j'ai décidé de me reprendre et de participer à la phase provinciale. Ce samedi à 9:00 du matin, je me rend au collège d'une municipalité de Santiago. Après une demi heure dans la file d'attente, les responsables du processus constituant font un discours d'accueil, nous expliquent le déroulement de la journée et prennent une photo collective pour immortaliser l'événement. À 10:30 nous entrons dans les salles de classes qui nous ont été attribuées aléatoirement lors de notre inscription. Notre groupe était constitué de 13 personnes, de tous âges, mixte, chacun exerçant des professions très différentes: salariés de l'industrie minière, journaliste, avocat, étudiants, ingénieurs, salariés d'ONG, chef d'entreprise, environnementaliste. Après un bref échange sur nos motivations à participer à cette journée, nous votons pour un modérateur et un secrétaire de groupe, puis commençons les débats. Tous les concepts traités ont fait l'objet de fortes confrontations de points de vues mais la haute qualité du débat nous a systématiquement poussé à un consensus. Par exemple le "droit à la vie" fait à la fois référence à la lutte féroce que les anti-avortements ont mené face au projet de loi, tout en représentant ce que le régime militaire de Pinochet a nié en torturant et éliminant plusieurs milliers d'opposants politiques. De même, nous avons débattu pour savoir lequel de ces trois concepts nous allions ajouter: multiculturalité, interculturalité ou plurinationalité ? Ces valeurs font référence à l'immigration et les populations indigènes, ce qui pose la question de l'intégration, du communautarisme et de la reconnaissance de plusieurs nations dans un même pays comme l'a fait la Bolivie. Les résultats ont ensuite été mis en commun par l'intermédiaire de notre modérateur et du secrétaire. En fin de journée, fiers de la qualité des débats de notre groupe, nous nous sommes applaudis et avons échangés nos contacts, conscients d'avoir participer à une expérience très enrichissante au delà du changement de Constitution.


Lors de la quatrième phase dite régionale, l'attente pour accéder au lieu de débat était de plus d'une heure et tous les débats se sont déroulés dans un grand hall très bruyant. De même le modérateur ne fut pas assez impartial, lui même très impliqué dans le mouvement étudiant contestataire et essayant de donner son avis plus que d'être garant de la circulation de la parole. Cette deuxième expérience ne fut pas la plus convaincante.


Bilan national sur un pays d'environ 19 millions d'habitants:
- Participation individuelle: 82.993 citoyens
- Participation locale: 9.206 actes de réunions générés par 100.099 citoyens
- Participation provinciale: 12.852 citoyens
- Participation régionale: environ 8.622 citoyens


Résumé des critiques entendues sur le processus constituant:
- "Les gens ne sont pas assez éduqués pour pouvoir participer à des débats d'une telle importance."
- "L'extrême gauche chilienne va essayer de prendre le dessus dans tous les débats."
- "Rien ne va changer car l’oligarchie chilienne verrouillera la nouvelle constitution."
- "Je ne participe pas car je suis contre le gouvernement actuel."
- "Les résultats ne seront pas légitimes au regard du pourcentage de participation."
- "Les concepts (valeurs, droits, devoirs, institutions) ne sont pas assez expliqués."
- "La mise en place d'une Constitution est un sujet d'experts, non de tous les citoyens."
- "Pourquoi participer ? Personne ne sait ce qu'il adviendra des résultats !"

Bien que les problèmes méthodologiques soient réels, la plupart des critiques n'étaient que spéculations. À titre personnel, je viens de vivre le plus beau moment civique de ma vie avec la sensation d'avoir participer à l'Histoire du Chili. À quand une Constitution européenne sur la base d'une participation publique constituante ?

Sources:
- Site officiel du processus constituant: Lien
- Processus constituant des peuples originaires: Lien
- Résultat du Comité de Systématisation: Lien
- Observatoire citoyen du processus constituant: Lien
- Regard de Courrier International en 2013: Lien

Flow

lundi 11 juillet 2016

Sewell - Ville fantôme - Pâtrimoine mondial de l'UNESCO

En plein cœur de "El Teniente", la plus grande mine souterraine de cuivre du monde, la ville de Sewell illustre 100 ans d'histoire d'une industrie ultra-capitalistique qui a transformé le Chili. Le site est classé au Patrimoine Mondial de l'UNESCO de ce fait la visite est encadrée par une agence touristique agréée. Il faut deux heures en car depuis Santiago pour pour atteindre l'entrée de la mine, plus que jamais active. Puis une heure à flanc de montagne pour remonter les différents procédés industriels jusqu'à l'extraction. Les va-et-vient incessants de camions témoignent de l'intense activité de la mine. La montagne a fait place à une vaste usine tentant de résister aux éboulements et avalanches.

Concassage phase 2
Concassage phase 2
La ville de Sewell
Bassins de flotation
Dessin de Sewell quand 15000 personnes y vivaient (app. 1960)
En 1905 la ville de Sewell est créée de toute pièce par un riche concessionnaire étasunien. Un chemin de fer vertigineux permettait alors d'y accéder en quelques heures depuis Rancuagua. La ville s'est développée (à coups de généreux dollars) à la verticale avec une cohérence urbanistique notable, entièrement piétonne et structurée autour d'un escalier central. Les immeubles colorés tranchent avec le décor austère des Andes. Dans ce lieu aux allures de la ville de montagne du futur, les meilleurs services du Chili s'y développèrent à l'image du Club de Bowling ou de l'hôpital nationalement réputé. Sewell atteint une population de 15000 personnes à son apogée. En 1945 un énorme coup de grisou suivi d'un incendie tua 355 mineurs. De cette tragédie émergèrent les premières consignes de sécurité qui ne cessèrent de se développer par la suite dans tout le pays.

Construction de la cheminée de la fonderie
Les fonderies aujourd'hui
Le chemin de fer de l'époque
La salle de Bowling
Fresque sur la tragédie de 1945
"Trouvez les 24 manquements à la sécurité"
La mine de cuivre est une bien affaire rentable et mineurs obtinrent des avantages pécuniaires et sociaux confortables pour l'époque. Fin des années 1960, la société est nationalisée puis étatisée, sous le nom bien connu de Codelco. L'entreprise chilienne ne pouvant subvenir au niveau de vie des mineurs dont le logement, la nourriture et les services étaient fournis comme avantages en nature, celle-ci lançât un programme d'offre de propriétés privées en vallée tout en construisant une route bitumée réduisant l'accès à la mine à environ une heure. Un exode rapide s'amorce jusqu'en 1980. Grâce à l'UNESCO, une petite partie de cette incroyable îlot urbain reste sur pieds. Aujourd'hui plus personne ne vit à Sewell, et de nombreux procédés sont pilotés à distance par fibre optique. Sous terre, les 3000 km de galeries continuent à régurgiter le cuivre qui servira à fabriquer tuyauteries, fils électriques, appareils électroniques, instruments de musiques, monnaies etc.



Plus d'informations:
- Communication de El Teniente sur l'histoire et le futur de la mine: Lien
- Site internet de Codeco pour les visites touristiques: www.sewell.cl
- Site internet de l'UNESCO: whc.unesco.org/fr/list/1214

F&P

lundi 4 juillet 2016

Valdivia, la ville des fleuves

À la confluence de quatre fleuves, Valdivia est un îlot d'urbanisation perdu au milieu des forêts endémiques et des eaux sombres, aux antipodes de la capitale. Porte d'entrée sur les terres australes à quelques 900 kilomètres au sud de Santiago, cette petite ville de 160.000 habitants est connue pour son campus universitaire verdoyant, ses tours fortifiées, ses maisons coloniales, son marché et ses brasseries. Mais ce fut aussi l'épicentre du plus gros tremblement de terre jamais enregistré sur terre qui en 1960 atteignit la magnitude de 9,5.

Les quais de Valdivia
Le marché couvert de Valdivia
Ambiance authentique
Murtas: sorte de fraise des bois poivrée
Chupón: fruit endémique de la région 
Le peintre sur bois recyclé

Le marché couvert est l'attraction phare de Valdivia, on y découvre des fruits insolites, de nombreux légumes et produits de la mer dans une ambiance populaire et familiale. Les lions de mer font le spectacle toute la journée. Ces mastodontes offrent aux touristes un panel de scènes quotidiennes insolites, dévorant les restes de poissons du marché, nageant les uns avec les autres ou encore se bagarrant pour rester sur le ponton lors de la sieste digestive.


Départ pour Corral en bâteau
Le port isolé de Corral en proie aux incendies
Les dunes de Chaihuin
Delfines en Chaihuin
Nous avons été chaleureusement accueillis par la famille d'une voisine santiaguinaise qui nous fit découvrir durant 3 jours sa splendide région. Spécialisée en biologie forestière, Natalia nous a témoigné de l'importance de l'industrie du bois dans la région mais aussi des conséquences du remplacement des forêts natives millénaires par des essences plus productives dont la culture bouleverse les paysages et l'écosystème. Son père, très curieux sur notre démarche de travoyageur, nous posa mille questions sur la France et notre vision comparative avec le Chili. En retour il nous conta ses souvenirs d'enfant témoin du tremblement de terre de 1960 et des changements de paysage que causa ce cataclysme, comme l'affaissement des champs qui furent alors submergés par les fleuves.

Façade d'une maison coloniale
Festival International de ciné de Valdivia
La "Région des Fleuves" est un territoire ayant appartenu aux indigènes durant l'époque pré-coloniale. Nos hôtes nous partagèrent leur point de vue sur les conflits actuels qui font régulièrement la une des informations en "live". Malgré la bonne volonté générale des habitants de la région, le mode de vie revendiqué par les héritiers des peuples natifs parait incompatible avec le système sociétal dominant. Sur les murs de Valdivia, des fresques illustrent d'ailleurs cette lutte devenue symbolique.

Liberté pour les prisonniers politiques Mapuche 
Liberté et résistance


Coup de cœur cinématique sur le thème de l'eau, la culture des natifs, la dictature: Le Bouton de Nacre, de Patricio Guzman.

F&P